12 4 2005 > par Marie-Hélène Bourcier [ SexPolitiques
- Queer Zones 2 ] éditions La Fabrique
http://www.lafabrique.fr/
article_auteurs.php3?id_article=85
ISBN 2-913372-44-9 : avril 2005
320 pages : format 13 x 20 cm
SEXPOLITIQUES
Queer Zones 2
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Avec Sexpolitiques, Queer Zones 2, Marie-Hélène Bourcier
récidive et reprend là où elle nous avait laissé
trois ans plus tôt : sur cette zone
mobile et brûlante qu’est la frontière entre
la sexualité, les genres, la race et l’espace public.
Jamais le sujet n’a semblé plus pressant.
À l’heure du mariage gai et du gay friendly, Bourcier
frappe fort avec comme cible première : la république,
ou plutôt ce qu’il en reste, « la Rep »,
avec son hétérocentrisme et son racisme vicéral.
Derrière la Rep rose, c’est
l’homonormalité bon teint qui se dresse, derrière
la Rep de l’intégration, c’est l’impudence
post-coloniale qui continue de dépolitiser ou de victimiser
les minorités sexuelles, de genre et ethniques.
Mais alors que pour les Américains, la politique des différences
et des post-identités peut espérer contrecarrer
l’évangéliste Bush,
l’auteur montre qu’en France, c’est l’élitisme
idéologique faux-fuyant du régime républicain
assorti d’un intellectualisme prudent qui domine et bloque
les minorités et les politiques respectueuses de la diversité.
Bourcier propose donc une impitoyable généalogie
des maîtres et des savoirs en chef, n’épargnant
ni Bourdieu (et ses blocages antiféministes) ni la reine
psychanalyse, ou encore le lesbianisme radical qui méconnaît
les bienfaits des concerts de Madonna en frac.
Et quand l’auteur évoque Foucault, ce n’est
pas l’intégrale, l’intégriste, le souci
de soi ou un Foucault momifié et béatifié
qui émerge, mais un Foucault actualisé, hybride,
cyborguisé, d’autant plus séducteur et politique.
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Une des forces de ce livre consiste à
surimposer les espaces de controverse pour faire émerger
les aberrations identitaires qui nourrissent tant les prétentions
politiciennes classiques que les revendications gaies et lesbiennes.
Mais Bourcier n’oublie pas de visibiliser
les subcultures émergentes, les nouvelles formes de résistance
politico-sexuelles, la révolte des anormaux, la
post-pornographie, les masculinités, les féminités
et les nouveaux corps qui surgissent dans un monde décidément
trop étroit.
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Marie-Hélène Bourcier est sociologue,
activiste queer et maître de conférences chargée
de recherches à l’université de Lille III et
à l’EHESS (Cadis).
Elle est l’auteur de nombreux ouvrages
et articles sur la théorie queer, les subcultures
sexuelles et les minorités en France et à l’étranger.
Elle est également chroniqueuse
sur Pink TV.
Dernier ouvrage publié :
Queer Zones, politiques des identités sexuelles, des représentations
et des savoirs, Balland, 2001.
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mai - juin 2005 > par la rédaction [ La Dixième
Muse ] n° 14 page 12 http://www.ladixiememuse.com/
Le mag’ des filles qui
aiment les filles
reçoit la sociologue Marie-Hélène Bourcier
à l’occasion de la parution de
Sexpolitiques Queer Zones 2
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Après Queer Zones politiques des identités sexuelles,
des représentations et des savoirs (Balland 2001) qui retrace
l'histoire de l'émergence de la théorie queer et de
son développement, Marie-Hélène Bourcier revient
avec Sexpolitiques Queer Zones 2.
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- Peux-tu nous rafraîchir la
mémoire sur le mouvement Queer ?
- Dans les années 90, aux Etats-Unis principalement, les
lesbiennes (De Lauretis, Butler et Gayle Rubin) font une entrée
remarquée dans un féminisme orienté femme uniquement
et plus très pro-sexe. Les pédés, les gouines,
les SM, les féministes et lesbiennes noires critiquent l'eurocentrisme
et le tour normatif que prennent à la fois le féminisme
et les politiques gaies assimilationnistes (on est en plein dedans
avec le mariage...).
- Se positionner comme queer, c'est opter pour la multiplicité
des identités de genre, remettre l'accent sur les sexualités
et leur dimension politique, tirer parti de notre potentiel pervers.
Moralité beaucoup d'homosexuel(le)s ne sont pas queer et
ne veulent pas l'être. Ce n'est donc pas une question de pratique
sexuelle mais de culture politique et sexuelle.
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- Quand tu as achevé Queer Zones
1, avais-tu prévu une suite ou est-ce l'actualité
qui t'a poussée à l'écriture ?
- Queer Zones 2 fonctionne comme Queer Zones 1. On y retrouve l'aspect
boîte à outils nécessaire en France compte tenu
de l'état de la nation sur le plan des traductions, de l'édition,
de la production LGBT queer et féministe et post- coloniale..
D'où les notes plutôt riches mais qui sont autant de
départs vers d'autres livres, marchent comme de véritables
petits réservoirs de références et les pages
à teneur définitionnelle et explicative. Des thèmes
de prédilections comme les porn studies, la culture pop et
les politiques de l'identité.
- On y retrouve aussi l'aspect intervention de Queer Zones 1, et
là c'est vraiment l'actualité ou ce qui ne se passe
pas qui me rend dingue. Le chapitre intitulé " Nique
la Rep " est à la fois une réaction de révolte
après le vote de la loi contre le voile l'année dernière
mais aussi contre des dispositifs de savoir comme la commission
Stasi. C'est aussi une tentative d'articulation typiquement queer
entre les identités de race, sexuelles et de genre, non pour
les lier entre elles par l'analyse mais parce qu'elles fonctionnent
déjà de manière imbriquées.
- Sex and the city est la chronique d'une
micro lutte politique pour les archives LGTQP (Lesbiennes Gaies
Trans Queer Pute) qui dure depuis plus de 3 ans maintenant, avec
les groupes Archilesb! Vigitrans puis ArchiQ.
- Jamais un travail politique ne m'a coûté aussi cher
politiquement, financièrement (avec le procès Têtu
que j'ai gagné mais qui va en appel...) et relationnellement.
J'ai vu des amis très proches, des partenaires de travail
que j'adorais trahir cette cause au moment du procès plus
particulièrement mais pas seulement, et ça m'a vraiment
fait douter de la manière dont on fait la politique minoritaire
en France et de son utilité.
- Mais il fallait réagir, le projet du CADHP [ Centre
d'Archives et de Documentation Homosexuelles de Paris ] était
scandaleux et finalement peu ambitieux même s'il se la pétait...
Arrogance, mépris et incompétence : trois ans après,
on en est toujours là. Je me réjouis que les Verts
demandent des comptes au prochain vote du Conseil de Paris quant
à l'état d'avancement du projet [ de l'APCADHP
]. Mais que de temps perdu !
- " Zap la psy " : intervention encore, contre la psychanalyse
lacanienne soi disant pro-queer et fondamentalement transphobe et
voyeuriste et qui n'arrive toujours pas à se pencher sur
ses fondements hétérocentrés. Ce niveau d'écriture
existait déjà avec Queer Zones 2, avec l'engagement
pour Baise-moi. C'est le plus épuisant et le plus coûteux,
en énergie et en temps. Mais je ne suis pas une intellectuelle
tout court et encore moins une intellectuelle de salon, il faut
donc politiser et écrire avec et non sur.
- Pour répondre précisément à la question
de départ, Queer zones est un processus d'écriture
et d'intervention très mobile (c'est l'idée même
de zones) qui n'a aucune raison de cesser. Il y a un Queer zones
3 en germe mais je ne sais pas si je le mènerai à
terme. C'est trop fatiguant.
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- Pourquoi t'attaquer à la République
?
- La " Rep " plus précisément : c'est ce
qu'a fait le républicanisme français de la République.
C'est ce qui reste quand la République Française a
gommé toutes les " différences " de sexe,
de genre, de race et de classe. A partir du moment où la
République se crispe sur un universalisme blanc hétérocentré
quasi colonial, ce n'est pas tant qu'il faille l'attaquer qu'attirer
l'attention sur les ressources politiques, identitaires et culturelles
des pédés, des gouines, des trans, des minorités
sexuelles, de genre et de race en général qui sont
stigmatisées comme " communautaristes " en France.
- Là où ça devient queer,
c'est qu'il faut également contrer I'homo républicanisme
patent des " instances " LGBT qui " nous gouvernent
" ou aimeraient bien le faire. J'ai nommé l'lnter LGBT,
toutes les assoces noyautées par le PS, y compris Ni Putes
Ni Soumises, sans parler du CADHP.
- La vision égalitaire républicaine est malhonnête
et raciste y compris quand elle est propagée par les féministes
blanches bourgeoises ou middle class ou des gays et des lesbiennes
en quête de carrière politique traditionnelle, La bonne
nouvelle c'est que les anormaux, les normaux manqués comme
aurait dit Hocquenghem, les " autres ", à la conduite,
aux moeurs inappropriées pour le républicanisme français
sont prometteurs. A condition qu'ils puissent, qu'ils veuillent
s'y mettre et jouir de vies et d'identités différentes.
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- Entre la télé, les
cours à la fac, les conférences et l'écriture,
comment géres-tu ton temps ?
- Mal. D'autant que je ne fétichise pas sur l'Ecriture à
la française, l'écrit, le stylo... Pour moi, tout
relève de la prise de parole et cette prise de parole est
politique, à la fac comme sur Pink TV. Je m'exprime de la
même manière dans mes billets d'humeur sur le Set que
dans mes cours ou dans mes livres.
- Donc, j'ai besoin de tous ces aspects, d'autant que la vie universitaire
française est misérable et vous ramolit un cerveau
en moins de deux ans pas de moyens, pas de labo de recherche, pas
d'espace, pas de stimulation, des mandarins peu de mandarines partout
!
- Honnêtement, la première chose à lâcher,
ce pourrait ètre la fac, n'était-ce l'envie de monter
des départements queers et de travailler la culture populaire
dans la France élitiste d'aujourd'hui. Sans vouloir être
pessimiste, je crois que l'on n'y arrivera pas et c'est en partie
par manque de volonté du côté des pédes
et des gouines. Les cours d'obédience queer ouverts cette
année à la fac de Lille III marchent à tout
berzingue mais nous avons besoin d'un regroupement d'enseignants
et de chercheurs.
- La solution est peut-être privée,
dans le genre fondation. Avis aux Mécènes I D'autant
que la fac ne doit pas être le seul lieu de savoir, vénéré
comme tel et qu'elle se revèle inadéquate pour tirer
parti des renversements d'expertise que nous devons encourager (côte
LGTQS Lesbien Gai Trans Queer et Sex workers) de manière
à ce qu'il génerent de la sub-culture, de l'entraide,
des vies supplémentaires.
- Par ailleurs, je suis à la recherche d'une forme d'expression
plus légère, plus immédiate, plus accessible.
La lecture et l'écriture sont des activités solitaires
et very time consuming. Je ne suis pas sûre que le livre soit
un support d'avenir, d'autant qu'il reste difficile d'y intégrer
les images, les films. Je suis très visuelle et lis tout
ce que je regarde mais la plupart du temps, le livre dans sa forme
classique ne me permet pas de le citer, de le donner à voir,
de le faire recirculer.
- Je crois qu'on peut dire adieu au cyber livre compte tenu des
obstacles actuels, et pourtant... En France, le livre est aussi
capté par l'édition traditionnelle et il ne peut pas
avoir les mêmes effets que dans les pays où l'underground
et les sub-cultures sont organisés. Je pense notamment au
cadrage sévère que subissent les autobiographies des
minoritaires Je travaille donc sur des projets à quatre mains
qui allieraient rapidité, richesse d'information et images
Ce sera plus jouissif pour tout le monde, ce sera toujours aussi
politique et ça me donnera du temps pour moi.
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