.
Sex and
the City
.
Crise qui nous
renseigne sur les politiques sexuelles en vigueur et leur configuration
spécifique : le Maire de Paris
se retrouve aujourdhui à générer un triple
discours politico-sexuel.
Dabord,
il joue de plus en plus la carte républicaine, au détriment
de ce qu'aurait pu augurer sa sortie de placard
- (à condition, bien sûr de comprendre le coming
out comme une technique d'irruption dans l'espace public qui
consiste à produire une auto-définition ou des contre-définitions
évidemment non pathologisantes voire inattendues de ce que
" c'est d'être homosexuel ").
- De ce point de vue, la stratégie de communication du Maire
après son agression est claire : il a choisi l'identification
avec "des représentants politiques de plus en plus exposés"
- à l'instar des élus municipaux de la Mairie de
Nanterre - (Il suffit de lire les quelques extraits du journal
de Richard Durn paru dans Corps 9 (n°1,
printemps 2003, p.12) pour se rendre compte de la dimension politique
et non "schizophrène" de son geste.) plutôt
qu'avec les homos assassinés sur les lieux de drague par
les casseurs de pédés.
Ensuite,
cet homorépublicanisme plus propice à de futures ambitions
politiques nationales
va de pair avec une politique archigaie qui ne dit
pas son nom.
Et
enfin, il y faut ajouter une obligation au paritarisme
(l'instrumentalisation la plus pauvre du féminisme par les
politiques qui soit) qui empêche le Maire de Paris
de mener une vraie politique transversale, une politique des différences.
.
La
politique archigaie de l'homo republicanus
Sous la République,
se dessine une politique archigaie que signifient
assez
- les choix d'affiches pour différentes campagnes de communication
(l'affiche pour la patinoire de Noël et celle
ambiguë des vux où figurait un couple en glissando
pas forcement hétéro)
- et la géniale reterritorialisation de la ville straight
opérée via des évènements comme Paris
Plage et Les Nuits Blanches.
Paris-Plage
s'est installé sur d'anciens lieux de drague gaie et les
salons de la Ville de Paris s'inspirèrent de la nuit
gaie.
- La nuit, la plage : deux espaces centraux dans la culture sexuelle
gaie ouverts au tout Paris.
- Le jour, l'affaire du Centre d'Archives
[ et de Documentation Homosexuelles de Paris (CADHP)
] qui dure depuis octobre 2002 maintenant,
est symptomatique du paradoxe intrinsèque de la politique
homo républicaine.
.
Le Maire
de Paris a affirmé à plusieurs reprises sa vision
domestique, familiale et républicaine de l'espace
- la Mairie est la maison de tous
- tout en adoubant un projet de Centre
et de Documentation et d'Archives Homosexuelles de Paris (Cadhp)
à la fois républicain et archigai, pour ne pas dire
archihomosexuel.
De
fait, le projet
[de
Centre d'Archives et de Documentation Homosexuelles de Paris]
pour
lequel le Conseil de Paris a voté une subvention de
100.000 euros en octobre 2002, exclut toutes les autres minorités
sexuelles (lesbiennes,
transgenres, transsexuel(le)s, intersexuels
) des
circuits de décision et de réflexion.
- Ce n'est pas l'improbable pluriel paritaire
d'une désignation médicale (" homosexuelles
") qui a été critiquée
et vidée de son sens disciplinaire depuis longtemps qui suffira
à faire croire que les " ancêtres " des lesbiennes,
des trans et des bi sont homosexuels.
- Choisie pour ses qualités " fédératrices
" ( universalisme honteux ), la
dénomination a aussi " le mérite " d'effacer
la problématisation des questions de genre si centrales dans
les cultures gaies, lesbiennes, transsexuelles et transgenres pour
ne pas parler de la mise sous le boisseau de la question du croisement
entre minoritaires sexuelles, genre et race.
Il
n'est que de voir comment les propositions ou la simple existence
de l'Académie Gaie et Lesbienne [
Académie Gay & Lesbienne ] (une
association fondée en 2001 et qui a rassemblé plus
de 20.000 documents et archives)
- ont été rejetées
par le CADHP et la Mairie de Paris
- où il fut signifié au co-fondateur de l'association,
Hoàng Phan, qu'il ferait mieux de s'occuper d'une
association de convivialité asiatique plutôt
que d'une association culturelle.
.
Elle masque également le fait que ce projet
bon républicain bon teint est en fait très significatif
de la montée en puissance de l'hégémonie gaie,
- c'est
à dire d'une identité (sexuelle) au détriment
d'autres,
- un phénomène déjà très sensible
aux Etats-Unis et dans le monde anglo-saxon en général
dès les années 90.
La
démarche qui consiste à s'arc-bouter sur la priorisation
de " l'homosexualité masculine " sert opportunément
- à fixer un ordre de passage entre les minorités
sexuelles,
- à ordonner le défilé des revendications qui
commencerait par celles des homosexuels et s'effilocherait ensuite
avec les trans et les intersexes dans un avenir que l'on espère
lointain.
Dans
leur dossier de présentation, les concepteurs du CADHP
affirment qu'il faudra " commencer par l'homosexualité
masculine pour des raisons historiques " en se référant
à l'Institut pour la Science Sexuelle fondé
par Hirschfeld dans le Berlin des années
20.
- Précisons qu'Hirschfeld fut tout aussi attentif
aux autres types " d'intermédiaires sexuels "
ainsi qu'un des premiers médecins à appuyer les
demandes de changement de sexe.
Cette
invisibilisation de certaines minorités sexuelles et de genre
se double évidemment d'une hiérarchisation des archives
servie par une conception résiduelle
-
qui fait l'économie des réflexions actuelles sur la
question de l'archive des minorités et des sans-voix.
A l'heure où
les archives lesbiennes de New York et les subaltern
studies se demandent comment ne pas coller aux archives
existantes - officielles - qui produisent le silence des minorités
ou des colonisés (les sources juridiques et médicales
pour les minorités sexuelles, les sources de l'administration
coloniale anglaise pour les Indiens),
- le Cadhp arbore une commission
" scientifique " très scienta sexualis qui épouse
dans sa structure même celle de la production pathologisante
de l'homosexualité au XIXème siècle. Mêmes
acteurs : un département " médical sexologie
et psychologie " et un département " juridique
".
Bref,
le Cadhp est loin de la neutralité qu'il revendique.
- Il ne reflète en rien la diversité
des méthodes et des approches.
- Il fait l'économie des courants féministes, post-féministes,
lesbiens, queers et transgenres qui font aujourd'hui la richesse
des cultures gaies, lesbiennes, bi et trans.
.
En réponse
aux critiques et actions des différentes associations, des
groupes Archilesb!, VigiTrans! et
LopattaQ (Collectif de Pédés
Queer) vis à vis de ce projet de Centre
d'Archives [ et de Documentation Homosexuelles de
Paris (CADHP) ], il est intéressant de voir
que c'est le modèle paritaire qui a refait surface et ce,
de deux manières.
- Les groupes Archilesb ! et
VigiTrans ont lancé des pétitions Pour
que cesse l'exclusion des lesbiennes, des transsexuel(le)s et des
transgenres qui ont recueilli plus de 800 signatures de personnalités,
d'universitaires, d'activistes et d'associations en France
et à l'international.
- Au jour d'aujourd'hui, toutes les associations
transsexuelles et transgenres (PASTT, CARITIG, ASB)
sont contre le projet en l'état
et la Mairie joue la carte du pourrissement en promettant
une date pour une réunion de mise à plat du projet
depuis plus de deux mois.
.
Côté
Cadhp et presse ; côté Mairie de
Paris
Sommé
de s'expliquer sur l'absence des lesbiennes et des trans,
- le Cadhp a proposé
de créer une commission "homme" et une commission
"femme",
- tandis que la presse superposait allègrement conflit homme
/ femme et " guerre " entre gais et lesbiennes.
.
La
Cité des Femmes
Inspirée
de la même vision binariste et essentialiste de la différence
sexuelle et exaspérée par la domination masculine
assimilée gaie, Anne Hidalgo, l'adjointe au
Maire à la parité
- ressortait des poubelles un vieux projet
de Centre pour les femmes au accents fellino-républicain
: "la Cité des Femmes".
- Et de cultiver derechef l'homologie entre lesbiennes / femmes
et gais / hommes, construisant par là même les gais
de la Mairie de Paris comme des hétéro - patriarcaux
ou des dominants masculins.
Ceux-ci
intériorisent d'ailleurs suffisamment la consigne et la critique
(Cf l'article " Les élues parisiennes critiquent
les conditions d'exercice de leur mandat ", paru dans
Le Monde daté du 5 mars 2003.) :
les
représentants d'Archilesb!, de VigiTrans
et de LopattaQ assistèrent médusés
lors de leur rendez-vous avec Christophe Girard, adjoint
à la culture, à la réaffirmation
absolue et jugée rassurante d'un engagement en faveur de
la parité homme / femme
- alors qu'ils étaient venus demander une forme de représentativité
culturelle conforme à la diversité des identités
sexuelles et de genre qui débordent largement le binarisme
de la différence sexuelle.
La
parité est sans doute l'instrument politico-sexuel le plus
grossier et le plus susceptible d'être ou de faire retour
à une vision biologisante des "deux sexes et des deux
genres".
- En raison à la fois de son évidence égalitaire
( 50/50 ) et de sa puissante valeur normative, cet outil au lieu
de beaucoup d'autres est devenu la marotte des campagnes électorales
depuis 1995.
- Préférée aux quotas et à la discrimination
positive qui amèneraient d'ailleurs à des calculs
bien plus proches de la réalité historique et culturelle
de l'exclusion des femmes du champ politique ( on excéderait
la barre des 50 % pour les femmes ), la parité débouche
immanquablement sur une ré-ontologisation de la différence
sexuelle et du régime sexe / genre / orientation sexuelle
dominant qui y correspond, à savoir l'hétérosexualité.
Ce
qu'ont assez démontré certaines propositions de mise
en pratique de la parité via le scrutin binominal, avec un
ticket comprenant un homme et une femme ou les projets de division
en deux des circonscriptions existantes et les récents blasons
conjugaux d'une parité électoralisée par un
Chirac ou un Jospin :
- Bernadette et Jacques, Sylviane et Lionel
durant la dernière campagne des présidentielles.
.
Biologisante,
renaturalisante, la parité sexuelle est aussi
excluante
C'est
un appauvrissement du concept même de parité, une confiscation
de celui-ci au profit d'une identité qui n'avoue pas son
nom : celle de la femme.
- En effet le paritarisme n'a pas toujours été, loin
de là, indexé à la différence sexuelle.
- On a connu l'outil plus social notamment avec ses applications
dans les relations ouvriers/patrons, employeurs/salariés
dans les organismes de gestion de la sécurité sociale.
- Ce qu'est devenu l'argumentation paritariste depuis que les féministes
paritaires l'ont appauvri est un pur produit du féminisme
bourgeois français qui fait l'impasse sur le croisement des
oppressions (de race, de classe et de genre) et la question des
sexualités.
A
la suite de Jospin et du PS, Delanoë
a repris le projet paritaire dans ses propositions électorales.
- En faisant de sa première adjointe la responsable de la
parité, il a ré-inscrit dans la Ville la violence
de la différence sexuelle.
- Il favorise la réification de la différence homme/femme
dans sa vision inévitablement différentialiste et/ou
essentialiste.
.
Avec
des effets en cascade sur les politiques sexuelles
de la Mairie
[ de Paris ] et
du Maire
Premièrement
: gommer la différence entre gai et hétérosexuel
et ramener les gais et les lesbiennes
( la paire pour la parité ) à
une assignation de sexe biologique.
- Or les cultures gaies, lesbiennes et trans sont précisément
des hauts lieux de contestation du régime sexe/genre normatif
et arbitraire.
Après
avoir été mis en position pathologisante pour avoir
été pointés et stigmatisés comme contre-genres
(inverti(e)s) parce qu'ils mettaient à mal un alignement
pseudo-naturel entre sexe et genre,
- les dissidents du genre exploitent maintenant positivement cette
dénaturalisation d'une relation sexe/genre obligée
qui n'est que l'effet de la construction hétérosexuelle.
Il y a désormais
les hommes, les femmes mais aussi le reste du monde.
Mais
la logique paritaire, telle qu'elle s'est implantée à
la Marie de Paris fera tout pour remettre de l'ordre.
- Il faudra deuxièmement réassigner
les lesbiennes à leur " condition de femmes "
notamment en proposant d'annexer celles-ci au projet de Cité
des Femmes,
- laissant aux gais - aux hommes - le Cadhp.
Qu'importe
que le mouvement lesbien ait scissionné du
mouvement féministe en 1980,
- que se soit créé un Festival de Films Lesbiens
[ CinéFFable ] en 1988 pour pallier à l'effacement
des lesbiennes dans le Festival International de Films de
Femmes de Créteil,
- que nombre de lesbiennes ne s'identifient plus comme des femmes,
et, si c'est le cas, certainement pas avec la féminité
hétérosexuelle.
.
Troisièmement,
on fera l'impasse sur les transsexuelles et les transgenres,
- d'autant qu'une partie du mouvement et de la culture transgenre
procède à des redéfinitions de genre et des
modifications corporelles qui ne se situent plus et ce, volontairement,
dans le cadre trop étroit et binaire de la différence
sexuelle.
.
Impasse
également sur les archives des prostitué(e)s,
- d'autant que l'on a adopté une position abolitionniste
en matière de prostitution
- dont il faut bien dire que l'un de ses buts non avoués
est de lisser l'image de la femme en faisant disparaître la
prostituée (forcément victime qu'il s'agit de réintégrer,
de resocialiser, de reconstruire
) au profit d'une digne
vision de La Femme.
Dans
ce dernier cas de figure, qui ne jure pas avec lintégrationnisme
républicain qui anime aussi les concepteurs du Cadhp,
la production de la figure de la prostituée
- de même que la production de l'homosexualité dans
le Cadhp -
sera l'objet d'un savoir pouvoir, d'un geste disciplinaire adéquat.
- Qui aura bien évidemment pour conséquence de faire
des prostituées non les sujets de leur propre discours
mais les objets du discours et de les invisibiliser.
Ainsi
apprend-on que l'enquête sur la prostitution commanditée
par la Mairie de Paris et pilotée par Janine Mossuz
Lavau risque bien de produire les mauvais résultats que
l'on attend d'elle.
- La recherche est contrôlée en amont comme en aval
par Judith Trinquart (médecin et psychanalyste) et
Malka Marcovitch (présidente du MAPP
" Mouvement pour l'Abolition de la Prostitution et de
la Pornographie ").
Ont
été subrepticement injectées dans le questionnaire
des questions jamais posées auparavant
- concernant la réaction (dégoûtée) des
prostituées à leur première fois avec un client,
- aux odeurs et aux flux corporels de ces derniers.
Soumis
à un droit de réserve draconien, les chercheurs qui
participent à l'enquête verront leurs résultats
dûment supervisés, conformés et mis en plan
par le Comité technique de la Ville de Paris
présidé par Judith Trinquart et Malka Marcovitch.
- Bel agencement disciplinaire ( politico - juridico - médical
) pour une volonté de savoir-pouvoir qui devrait amplement
suffire à re-pathologiser la prostituée.
(Dans le droit
fil de la thèse de Judith Trinquart
- qui vient de commettre La Décorporalisation dans
la pratique prostitutionnelle : un obstacle majeur à
l'accès aux soins, thèse de doctorat de médecine
générale (2002)
- et qui est aussi rédactrice en chef de la revue du Mouvement
du Nid, Prostitution et Société.)
Il
s'agit de produire une déviance à corriger ou à
soigner mais aussi de procéder à un double effacement
: celui de la prise de parole politique des prostituées
- ( telle qu'elle s'est manifestée dans l'espace public lors
de la résistance contre les lois Sarkozy mais aussi
telle qu'elle peut exister en laissant les prostituées être
les agents de leur propre discours, de leur savoir et de leur identité
)
- ( Comme le prouve avec force le livre de Claire Carthonnet
qui vient de paraître : J'ai des choses à vous dire,
une prostituée témoigne " Paris,
Laffont, 2003 " ).
Du
coup, ce sont aussi les espaces de production de savoir communautaire
qui seront exclus.
- Je pense notamment à des associations comme Cabiria,
qui sont sans cesse sollicitées pour leur savoir ( et qui
sont de fait plus légitimes que les instances de recherches
vendues à la Marie et épistémopolitiquement
situées du côté des subalternes ) mais à
la condition de ne pas être citées explicitement puisque
ce ne sont pas des pairs ( entendez " universitaires "
).
- (Il est intéressant de savoir que c'est un post-doctorant
à la recherche d'un poste de maître de conférences,
avec la précarité que la situation engendre en France,
qui s'est permis de signifier cette différence lors d'une
réunion à l'EHESS.)
Gageons
que toutes ces précautions scientifiques prises et une fois
le corps de la victime prostituée enfin re-circonscrit, pathologisé
et mis au redressement intégrationniste,
- il sera alors possible de la reléguer hors de la Cité
des Femmes rebaptisée pour l'occasion Cité
de la Femme Française.
C'est
que " la menace pute " -
et ce n'est pas un hasard si la prostituée est toujours suspectée
d'être un puissant vecteur de contamination -
est particulièrement redoutée des paritaristes abolitionnistes
qui pour défendre leur conception essentialiste de la femme
travaillent sans relâche au maintien de la séparation
et donc de la différence entre la femme et la pute.
- Cette frontière est complètement poreuse puisque
la performance de la féminité obligatoire et dominante
est en continuité directe avec la performance de la féminité
pute / salope.
La
culture sexuelle favorisée par la politique abolitionniste
menée par la Mairie de Paris est hétérocentrée
et donc puto-phobe en ce qu'elle régule la production de
la figure de la prostituée.
.
Voies
de traverse
Paritaire ou
non, l'homo republicanus confond l'égalité avec la
justice.
Les
antiparitaires ont raison de souligner les effets backlash de la
parité mais ne tiennent pas toujours compte de la poussée
masculiniste actuelle qui est aussi une réaffirmation d'une
certaine masculinité dominante et renaturalisante.
- Derrière la parité, il y a bien une politique de
l'identité, c'est celle de la femme, hétérocentrée,
qu'a toujours mené le féminisme à de rares
exceptions près (certains courants post féministes
et féministes queers).
- Derrière le citoyen, il y a une politique de l'identité,
celle du sujet républicain qui n'est pas l'individu abstrait
de l'universalisme mais le sujet masculin blanc hétérosexuel
français.
La
parité agitée par les féministes ou les gais
de la Ville de Paris est une réaffirmation de "
l'universalisme de la différence sexuelle " et de
l'hétérosexualité.
- Et du même coup, elle constitue une renaturalisation de
ces deux productions culturelles et politiques.
- Raison pour laquelle on ne saurait y voir un " communautarisme
", cette chose anglo-saxonne.
Si
le spectre de l'Amérique hante les politiques sexuelles
françaises, l'accusation communautariste est bien digne d'une
France post-coloniale qui met en équation / accusation
- le communautarisme et le fondamentalisme musulman,
- et bien souvent les Français musulmans, les "
Arabes " tout court.
Au terme repoussoir
et aveuglant de " communauté ", il faut substituer
celui d'identité et resituer tout le débat des politiques
sexuelles par rapport aux politiques de l'identité.
- De fait, celles-ci sont dûment menées.
La
Mairie de Paris cristallise exemplairement la situation politico-sexuelle
française : ce qui s'y joue, c'est une concurrence en termes
de politiques de l'identité, identité républicaine
comprise.
Le pouvoir recouvrant
et intimidant de l'argument paritaire ne saurait masquer les luttes
- entre politiques straight et politiques
queer,
- entre la défense essentialiste de « La femme »
et la montée en puissance de l'identité gaie, au
détriment d'autres identités sexuelles de genre et/ou
ethniques qui se retrouvent aux marges : les trans, les prostitué(e)s,
les handis, certains gais, les lesbiennes, les enfants dimmigrés
voilés ou pas.
La
mise en branle de la Cité des Femmes contre
le Cadhp peut être lue
- comme un indice non seulement de la crise
de représentativité que ne pouvait manquer de provoquer
l'entrée en fonction d'un Maire gai
- mais aussi, comme une crise de l'hétérosexualité
- plutôt que comme une solution à la crise de la représentativité,
la charge paritaire devant être comprise comme une réaction
hétérocentriste.
Alors
qu'il devient de plus en plus clair
- et ce au sein même de certaines sphères de la culture
hétérosexuelle - que le modèle
de la différence sexuelle n'est qu'un paradigme naturalisant
déconstructible, et que ce modèle a été
largement battu en brèche par la théorisation et le
vécu des masculinités et des féminités
comme performances (Judith Butler, Gender Trouble,
Feminism and the Subversion of Identity, New York, Routledge,
1990.) ou technologies (Teresa de
Lauretis, Technologies of Gender, Bloomington
et Indianapolis, Indiana University Press1987.).
Paritaires ou
anti-paritaires, un tant soit peu constructivistes en France lorsqu'elles
le sont, l'oublient vite, s'en remettant à un reste de nature
incompressible (le sexe "Alors que nombre d'épistémologues
de Fausto Sterling à Fox Keller ont montré à
quel point le sexe biologique que l'on sépare si aisément
du genre, comme substrat biologique indéniable et fondateur,
est tout aussi bien une production discursive et disciplinaire."
versus le genre), à un deux primordial ou final, à
une ontologie de l'homme et de la femme. Alors que précisément
l'assignation de genre dûment consignée par l'état
civil (Cf les butées définitionnelles ultimes et transphobes
de la différence homme/femme selon Janine Mossuz-Lavau :
"la réponse est qu'il y a des hommes et des femmes,
que l'on naît homme ou femme et que, lorsqu'une naissance
est déclarée dans une mairie, il est aussitôt
fait mention du sexe du nouveau-né, et que la fameuse "commune
humanité' se traduit nécessairement par son incarnation
dans des hommes et des femmes, qu'il y a peu de personnes humaines
(si l'on laisse de côté le problème des transsexuels)
qui ne sont pas des hommes soit des femmes"; "une autre
différence n'apparaît guère, elle aussi, susceptible
de s'effacer dans l'avenir, celle qui concerne la sexualité
même des hommes et des femmes. Pour avoir des relations sexuelles
et prouver ainsi sa virilité, au bout du compte son identité,
l'homme doit être en mesure d'avoir une érection. Ce
qui le pousse à devoir démontrer, prouver, apporter
en permanence les garanties de sa masculinité, et qui n'a
pas son correspondant, son trait symétrique ches les femmes",
in Femmes/Hommes, Pour la Parité, Presses de Sciences Po,
coll La Bibliothèque du Citoyen, 1998, pp. 74 et 76. C'est
nous qui soulignons.) est l'une des plus flagrantes preuves de la
force performative qui préside à la "sexuation"
et non de son existence à l'état brut et universel.
Pour le dire avec De Lauretis, lorsqu'elle applique au genre ce
que Foucault avait appliqué au sexe : "le genre n'est
pas la propriété des corps ou quelque chose d'originel
chez les êtres humains , mais "l'ensemble des effets
produits dans le corps, les comportements et les relations sociales",
le déploiement d'une "technologie politique complexe"
pour reprendre les termes de Foucault". (Teresa de Lauretis,
op cit., p. 3 (notre traduction.)
Le binarisme
forcément naturalisant à terme n'est pas l'apanage
des paritaires ou des differentialistes. On le retrouve de manière
flottante mais inéluctable chez les universalistes françaises
dont on se demande encore comment elles ont pu faire l'économie
de la critique de l'universalisme, et notamment de son ancrage colonial.
Mais ni la parité ni l'égalité abstraite et
binaire en droit ne pourront fixer la dérivabilité
intrinsèque des genres et la prolifération des (identités)
sexuelles traversées et composées par les oppressions
de classe et de race depuis que les minorités sont entrées
en phase réflexive productive et politique.
A côté
de la "fausse route" et du détour qu'on nous dit
nécessaire par des stéréotypes de la "virilité"
pour préserver une masculinité entamée parce
qu'enfin dénaturalisable, il y a le déploiement des
masculinités non straight. (Sur ce sujet voir notre Freaks
le retour, ou comment se faire des identités et des post-identités
à partir du système sexe/genre dominant, Cahiers de
l'imaginaire, Penser le sexe. De l'utopie à la Subversion?,
Presses Universitaires de Montpellier, à paraître en
octobre 2003.) Il y a des voies de traverse. Il y a mieux que le
retour du psychologique -tout aussi menaçant que le retour
du biologique- pour comprendre la constructibilité et la
politique des genres. La conception de la sexualité masculine
comme pulsion privée, indépendante et imprévisible
est un empêchement de penser la dimension politique de celle-ci,
le fait qu'elle soit justement une production discursive, une performance
comme une autre, une technologie de sexe et donc modifiable. Dans
son dernier ouvrage certes anti-paritaire mais singulièrement
peu informé et conservateur, c'est une vision extrêmement
pré-foucaldienne, freudienne et pré-féministe,
républicaine et un tantinet masculiniste que nous propose
Badinter : "La sexualité n'obéit pas à
la seule conscience ni aux impératifs moraux tels qu'on les
définit à une époque ou à une autre.
Elle ne se confond pas non plus avec la citoyenneté. Elle
appartient à un tout autre monde, fantasmatique, égoïste
et inconscient. C'est pourquoi l'on se prend à rêver
quand on lit qu'"il est temps que les homme remettent en question
leur sexualité" (
) "Comme si le militantisme
pouvait mettre au pas la pulsion masculine". (Badinter, Fausse
Route, Paris, Odile Jacob, 2003, pp. 168-169. C'est nous qui soulignons.)
Outre que tant de ferveur à affirmer l'impénétrabilité
et l'immuabilité du continent noir masculin fait l'économie
de toute la critique de l'hypothèse répressive de
Foucault et notamment de la notion de censure productive, elle est
contradictoire avec l'effroi que manifeste Badinter tout au long
du livre quant à une possible altération de la masculinité,
via une choquante "efféminisation". (Que favoriserait
la victimisation générale des hommes et des femmes
inscrite juridiquement par le féminisme à l'américaine.)
Ce qui l'amène à prescrire de fixer pour un temps
sur une conception dualiste et à défendre une maigre
doxa en matière de masculinité et de féminité
: "imposer aux petites filles et aux jeunes garçons
les mêmes jouets, activités et objets d'identification
est absurde et dangereux. L'apprentissage de l'identité sexuelle
est vital et, n'en déplaise à certains, elle se fait
par oppositions, caricatures et stéréotypes"
(
) Le petit garçon n'est pas un ours et l'on ne joue
pas avec l'acquisition de l'identité sexuelle". (Badinter,
ibid., pp. 171-172. C'est nous qui soulignons.)
Loin des autoroutes
qui nous ramèneront en boucle à la confusion ontologique
finale (l'un et l'autre puis l'un est l'autre) c'est à dire
au sujet badintérien universel a-sexué et dé-genré,
il y a les raccourcis : le pédé bear profite bien
de son identification nounours, les X-men prolifèrent et
la butch (Cf Attirances, Lesbiennes Fems/Lesbiennes Butchs, in Lemoine
C. & Renard, I, (dir.) éditions gaies & lesbiennes,
Paris, 2001 et Parce que les lesbiennes ne sont pas des femmes :
autour de l'uvre politique, théorique et littéraire
de Monique Wittig, Paris, éditions gaies & lesbiennes,
2002.) (qu'elle soit lesbienne ou non) se moque bien des tressaillements
de Sylviane Agazinski (Alors que Badinter veille sur la frontière
homme/femme pour éviter une regrettable éfféminisation
de la masculinité, Agacinski, en bonne différentialiste
essentialiste s'émeut de la masculinisation des femmes (cf
Politiques des Sexes, Paris, Seuil, 1998) et ses déclarations
dans la presse, notamment Le Monde du 18 juin 1996.) devant une
possible et coupable identification masculine ou des prescriptions
essentialistes d'Antoinette Fouque en matière de sensualité
féminine ou de rôle maternel. Le sissy boy et la drag
queen outent la pseudo naturalité du système sexe/genre
hétérocentré dominant qui présuppose
une continuité sexe/genre. (Au genre «biologique féminin»
correspondrait «naturellement» un genre en continuité,
féminin avec un choix dobjet sexuel opposé.
Un système qui présuppose deux et seulement deux genres
: le masculin et le féminin complémentaires pour la
reproduction. Mais si la féminité ne doit pas être
nécessairement naturellement la construction culturelle dun
corps féminin (la drag queen) et si la masculinité
ne doit pas nécessairement, naturellement, être la
construction culturelle dun corps féminin (les masculinités
féminines, les drag king, les butch, les transgenres
),
si elle nest pas le privilège des hommes biologiquement
définis, cest que le sexe ne limite pas le genre et
que le genre peut excéder les limites du binarisme sexe F/sexe
M.) Ils savent que tout genre est performance sans original à
commencer par la féminité et la masculinité
hétérosexuelle. A cette déconstruction et cette
multiplication des masculinités et des féminités,
il faut ajouter les acquis de la sex war des années 80 et
90, (L'ouvrage de Lisa Duggan et Nan.D. Hunter, Sex Wars, Sexual
Dissent and Political Culture (Londres, New York, Routledge, 1995)
en donne déjà un bon aperçu en relatant notamment
les actions et productions théoriques de FACT (Feminist Anti-Censorship
Taskforce).) toujours à moitié racontée dans
sa version française, à commencer par Badinter. (Qui
se contente de citer et les ouvrages de MacKinnon ou Dworkin et
ignore manifestement les différences entre féminisme
radical, féminisme libéral, féminisme lesbien,
féminisme culturaliste et féminisme matérialiste
)
Non seulement le retour du biologique, la renaturalisation et l'essentialisme
ont massivement été contrés justement par les
féminismes dits de "la deuxième vague" qui
ne se résument pas à MacKinnon ou Dworkin mais qui
comptent tout le féminisme post-marxiste, le féminisme
queer, le post-féminisme volontiers pro-sexe, tous très
loin des sanglots longs de la victimisation des femmes (Spivak,
Fraser, Hartsock, Wittig, Butler, De Lauretis, et bien d'autres)
et des hommes (sans parler des apports des études transgenres).
A nombre de stratégies d'empowerment, les féministes
constructivistes ou les radicales du sexe (Rubin, Califia) et les
féministes post-coloniales ont ajouté des niveaux
de réflexion et de réflexivité qui nous manquent
cruellement en France : une remise en question justement du sujet
cartésien moderne universaliste pour les politiques sexuelles.
Mais aussi une politisation de la subjectivité et de l'identité
qui nous permettrait de déplacer le débat hors des
binarismes homme/femme, universel/différentialiste, universel/communautariste
à partir du moment où l'on re-conçoit le sujet
du féminisme. Non forcément comme une femme avec la
stratégie cyborg de Donna Harraway, avec les registres identificatoires
que procure la théorie chicana, (Cf Living Chicana Theory,
Carla Trujillo (dir.), Third Woman Press, Berkeley, California,
1998 et plus particulièrement l'article de Chéla Sandoval,
"Mestizaje as method: Feminists-of-Color challenge the canon",
pp. 352-370.) avec la dés-identification d'avec les femmes
qu'a pu inspirer Wittig. Comme un sujet féministe post-moderne
ou queer dont Teresa de Lauretis affirmait la nécessité
politique et conceptuelle dès 1987. Dès les premières
pages de Technologies of Gender, De Lauretis insiste sur le fait
que l'équation genre=différence sexuelle, très
pratiquée dans le féminisme des années 60-70,
est devenu une limitation pour la théorie féministe.
Parce qu'elle s'est traduit par un développement monogenré
de la pensée (féminisme identifié femme des
women's studies, de l'écriture féminine
) et
parce que "le fait de continuer à poser la question
du genre dans les termes de la différence sexuelle, une fois
que la critique du patriarcat a été totalement faite,
emprisonne la pensée féministe dans les termes du
patriarcat occidental lui-même, le contient dans le cadre
d'une opposition conceptuelle qui est "toujours déjà"
inscrite dans ce que Frédéric Jameson appellerait
"l'inconscient politique" des discours culturels dominants
et leur grands récits sous-jacents." (Ibid., p. 1.)
D'où l'idée d'exploiter le potentiel épistémologique
radical perceptible dans les écrits féministes des
années 80 et qui laissent entrevoir des relations entre subjectivité
féministe et socialité différentes. (Sur les
prolongements queer de la politisation de la subjectivation et du
savoirs voir Differences : A Journal of Feminist Cultural Studies,
«Queer Theory, Lesbian and Gay Sexualities», summer
1991, vol 3, Brown University Press ainsi que Multitudes n°
12, printemps 2003, "Féminismes, Queer, Multitudes".)
C'est une politique
des différences qui doit animer les politiques sexuelles
de la ville de Paris. En relation avec les anciens et nouveaux conflits
d'identités (ceux qui se cachent, ceux qui se visibilisent),
avec des politiques des identités qui sont déjà
menées - à commencer par la politique de l'identité
hétérosexuelle, et en tirant parti des savoirs et
des stratégies post-identitaires qui ont surgi. Des identitaires
qui n'avaient pas peur de se nommer comme tels et par là
même purent se critiquer : les gais, les lesbiennes, les transsexuel(le)s,
les prostitué(e)s esquissant précisément le
geste queer pour s'identifier comme tel ou bien pédés,
gouines, putes ou transgenres parce que ce geste est avant tout
un rapport hypercritique aux identités (sexuelles). Il faut
distinguer entre le différentialisme essentialiste (le féminisme
de la Marie de Paris qui inclut les lesbiennes et exclut les prostituées)
et des politiques des différences fondamentalement constructivistes.
Le modèle de la politique des identités n'est pas
celui de l'affirmation naturalisante d'une identité en phase
d'hégémonisation par rapport à d'autres et
qui pour cette raison a recours à la naturalisation. C'est
justement à ce moment précis qu'intervient la politique
queer dans un effort de dénaturalisation, dans un mouvement
d'affirmation identitaire post-identitaire producteurs d'identités
et de cultures nouvelles. C'est de cette manière que l'on
évite les figements naturalisants et les effets opprimants
des identités dominantes ou hégémoniques et
non en niant leur existence.
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