.
Dépôt
du patchwork de Cleews Vellay
[ 3 février 1964 - 18 octobre 1994 ]
.
Cleews
est mort du sida le 18 octobre 1994 en début d’après-midi.
Autour de lui,
ce jour-là, étaient présents ses amis, ses amants, son médecin,
les plus proches de ses compagnons d’Act Up-Paris.
Pour tous,
alors, l’heure de sa mort fut celle de la stupeur et de l’accablement.
Pour beaucoup, ensuite, chaque heure, chaque jour, chaque semaine,
chaque mois qui suivirent furent des heures, des jours, des semaines
et des mois sans lui.
C’est de cette
absence considérable, de ce manque de tous les instants dont témoigne
ce patchwork aujourd’hui.
.
Cleews
fut un militant de la première heure à Act Up-Paris
et, durant deux ans, il en fut le président.
Beaucoup l’ont
connu à travers l’image que les médias ont donné de lui, celle
d’un garçon fragile, frêle, animé d’une folle énergie.
.
A 30 ans,
quand la mort l’a cueilli, Cleews menait deux guerres,
- l’une personnelle contre un virus dont il savait qu’il lui coûterait
la vie,
- l’autre publique et sans merci contre tout ce qui avait pu rendre
possible l’étendue cruelle de cette épidémie: l’homophobie, la
bêtise et la haine, celles de l’Eglise et des pouvoirs publics,
le racisme et l’aveuglement, le cynisme tranquille des laboratoires
pharmaceutiques, l’irresponsabilité de ceux qui sont en charge
de la Santé Publique.
J’ai entendu,
dix fois au moins, Cleews s’emporter contre des ministres
de la Santé, jamais les mêmes, les traiter d’assassins, leur brandir
sa mort sous le nez, les harceler avec ce qui fonde, aujourd’hui
encore, la base du discours d’Act Up :
- la politique de réduction des risques envers les toxicomanes,
- la prévention grand public ciblée pour les gays en particulier
et toutes les minorités en général,
- l’attribution de l’allocation adulte handicapé -dont je dois
dire ici qu’il en a lui-même «bénéficié» plus d’un an après en
avoir fait la demande mais un mois après sa mort-,
- l’accès simplifié aux soins et aux molécules encore à l’essai,
le droit des étrangers en France…
J’imagine
aujourd’hui qu’il se trouvera bien quelques responsables de la
Santé pour venir se pencher devant ce patchwork que nous avons
confectionné; je me prends en ce moment à rêver, Cleews,
que tu te lèves pour les gifler.
.
Rien, jamais,
ne nous rendras ta mort moins cruelle, ton absence moins pesante,
pas même ce patchwork sur lequel nous avons tenus à faire figurer
le nom de tous ceux qu’à Act Up-Paris le sida a
fauchés et qui nous manquent.
J’aimerais
remercier ceux et celles qui ont participé de près ou de loin
à l’élaboration de ce patchwork et qui ont mis tant d’amour :
Act Up-Paris en son entier, Stéph ma petite
sœur de deuil, Manu, Yann, Christophe, François,
Laure, Nicoco, Hubert, Marc, Régine
et Mathilde, la moire de soie d’Yves Saint-Laurent
et les Tout A Dix Francs, un moine bouddhiste et
sa fleur de lotus, Dalida, Sheila, les Demoiselles
de Rochefort, Patricia, Arlindo, Jean-Christian,
Isa, Emanuelle et son cœur en paillettes, Franck
bien sûr, j’en oublie certainement…
.
Cleews
m’a dit quelques fois qu’il n’était pas pressé de finir en patchwork,
qu’il comparait à des nappes de table ou à des dessus-de-lit.
Voilà, j’avais
un mari, aujourd’hui j’ai un dessus-de-lit.
Ciao bébé.
Philippe
Labbey
.
Texte écrit
et lu pour le dépôt du patchwork de Cleews Vellay (03.02.1964
/ 18.10.1994)
.